B2B et requalification en Pologne : ce que doivent savoir les employeurs

octobre 2025Droit du travail

  1. Droit du travail
  2. B2B et requalification en Pologne : ce que doivent savoir les employeurs
B2B,

prestation de services, contrat d’ouvrage : vers une requalification plus incertaine en Pologne ? Ce que doivent savoir les employeurs.

En Pologne, le recours aux formes d’emploi hors salariat classique (B2B, prestation de services, contrat d’ouvrage) progresse. Un projet de réforme* de l’Inspection nationale du travail (PIP) vise à faciliter la requalification en contrat de travail. Mais l’issue dépendra largement… des tribunaux. Décryptage et conseils pratiques.

1. Un contexte chiffré et une réforme ambitieuse … mais aléatoire

Au 1er trimestre 2025, environ 450.000 personnes travaillaient en B2B pour un seul client (contre 380.000 un an plus tôt) et près de 1,3 million en contrat de prestation de services. Le Ministère du Travail entend renforcer la PIP en lui permettant de requalifier de sa propre initiative des contrats civils (B2B, prestation de services, contrat d’ouvrage) en contrats de travail.**

Provisoirement rassurant pour les salariés ? Pas si sûr : chaque décision de la PIP pourra est contestée devant les juridictions du travail, qui conservent la main sur l’interprétation des critères du Code du travail polonais (art. 22 § 11).

2. Pourquoi un tel besoin de réforme en Pologne ?

En France, la requalification d’un contrat en contrat de travail est un mécanisme bien établi. En Pologne, c’est tout le contraire.

Les tribunaux y prononcent rarement une requalification. Deux raisons principales l’expliquent.

D’abord, les juges polonais accordent souvent plus d’importance à la volonté exprimée par les parties qu’à la lettre de la loi, même lorsque celle-ci est d’ordre public.

Ensuite, les litiges restent peu nombreux. Employeurs et salariés préfèrent éviter le contentieux. Ils négocient entre eux, craignant la durée et l’incertitude d’un procès.

Résultat : le recours aux contrats civils reste massif, sans contrôle effectif. C’est cette zone grise que la réforme du gouvernement cherche aujourd’hui à encadrer.

3. La règle de droit : des critères simples, des cas concrets complexes

Le Code du travail polonais retient le contrat de travail dès lors que la prestation est personnelle, dans un lieu et des horaires fixés, sous subordination – quelle que soit l’étiquette contractuelle.

En pratique, la frontière est poreuse : la même relation peut présenter des caractéristiques mixtes (autonomie partielle, reporting allégé, mais intégration aux process internes), ouvrant la voie à des décisions divergentes selon les juridictions.

4. Position de la jurisprudence récente : deux mouvements qui s’entrechoquent

  • Primauté des faits caractéristiques du salariat : lorsque la subordination est tangible (présence quotidienne sur site, horaires imposés, contrôle hiérarchique, outils fournis, rémunération horaire), la requalification s’impose. Les affaires d’« emballage de viande » et d’« agent de sécurité » en sont des illustrations classiques.
  • Montée de la « volonté des parties » en zone grise : lorsque l’autonomie est réelle (choix du planning, faible supervision, objectifs plutôt que consignes) et que le prestataire a voulu le B2B en assumant ses avantages fiscaux et sociaux, les tribunaux tendent à refuser la requalification. Des décisions récentes (commerce, messagerie) confirment cette inflexion.

Conséquence : l’issue d’un litige dépend fortement du profil factuel du dossier … et de la juridiction saisie. Les arrêts de la Cour suprême (SN) ne lient pas formellement les juges du fond, d’où des écarts d’application.

5. Où se situe le risque par secteur ?

  • Risque élevé : commerce de détail, restauration, logistique/entrepôt, sécurité – là où les contraintes d’horaires, de lieu et de consignes opérationnelles sont structurelles.
  • Risque plus contenu : IT, conseil, fonctions commerciales senior – là où l’autonomie d’exécution est inhérente et documentable.

6. Bonnes pratiques pour réduire le risque de requalification

  1. Cartographier vos relations « civiles » : identifier les missions avec horaires imposés, pointages, reporting serré, validation des absences, sanctions disciplinaires – signaux rouges de subordination.
  2. Aligner la forme et la réalité :
    • En B2B : laisser de vraies marges d’organisation (planning, lieu, possibilités de sous-traitance), rémunérer au livrable/projet plutôt qu’à l’heure, éviter les circuits RH « salariés ».
    • En prestation de services, contrat d’ouvrage : cadrer l’objet (résultat/ouvrage), limiter les consignes de méthode, proscriver les obligations typiquement salariales.
  3. Documenter l’autonomie : clauses contractuelles, échanges montrant la négociation, pluralité de clients, factures, absence d’instructions opérationnelles au quotidien.
  4. Former les managers : pas d’outils de contrôle « salariés » pour des prestataires civils (plannings imposés, validations d’absence, discipline interne).
  5. Préparer un « dossier PIP » : contrats, fiches de mission, modèles d’objectifs, preuves d’autonomie, politique d’accès aux locaux et aux outils, matrice de réponses aux contrôles.
  6. Adapter la stratégie par site : tenez compte des pratiques locales des tribunaux ; une même configuration peut être appréciée différemment à Varsovie, Gdansk ou Cracovie.
  7. Privilégier l’emploi salarié quand la subordination est structurelle : économisez un contentieux perdu d’avance.

7. La réforme de la PIP changera-t-elle vraiment la donne ?

Probablement à la marge. La PIP pourrait accroître la pression (contrôles ciblés, effets dissuasifs), mais la dernière parole restera aux juges. Dans la zone grise, la volonté des parties et la cohérence globale de la relation (fisc/assurances sociales, facturation, autonomie) demeureront décisives.

Un « test d’entrepreneur » légal clarifierait les choses ; à ce stade, il n’est pas prévu.

Les critères légaux et la preuve resteront le terrain de jeu… et de risque.

8. Mini-FAQ (praticiens)

Un B2B avec un seul client est-il illégal ?
Non, mais risqué si la subordination est avérée. Le monoclient n’emporte pas requalification automatique ; il alourdit la charge de démontrer l’autonomie réelle.

Pouvons-nous imposer un planning hebdomadaire à un B2B ?
Imposer un planning fixe et une présence à heures déterminées rapproche du salariat. Préférez des jalons de projet, des SLAs et des fenêtres de disponibilité négociées.

Un prestataire qui « préfère » le B2B nous protège-t-il ?
Seulement en zone grise. La volonté des parties pèse davantage, mais ne neutralise pas des indices forts de subordination (art. 22 § 11).

9. À retenir

  • Critère-pivot : la subordination effective prime.
  • Zone grise : la volonté des parties et la cohérence de la relation peuvent faire pencher la balance.
  • Pragmatisme : concentrez l’usage des contrats civils là où l’autonomie d’exécution est structurelle et prouvable.

Checklist « audit éclair » (15 minutes)

  • Le prestataire peut-il organiser librement son temps et son lieu d’exécution ?
  • Les livrables sont-ils définis (résultat/projet), la rémunération au projet et non à l’heure ?
  • Existe-t-il des consignes opérationnelles quotidiennes, un contrôle hiérarchique ou des sanctions ?
  • Le prestataire a-t-il d’autres clients, une assurance professionnelle, un matériel propre ?
  • Les accès aux outils internes sont-ils limités (pas d’horodatage salarié, pas d’intranet RH) ?
  • Les managers savent-ils différencier la relation civile de la relation salariale ?

* Le projet de réforme, publié en polonais, est disponible sur le site de la PIP (Państwowa Inspekcja Pracy).
** GUS (Główny Urząd Statystyczny, équivalent de l’INSEE français) et presse économique spécialisée. Chiffres arrondis

Voir également :

Le contrat de travail en Pologne
Salarié … comme un polonais

Laisser une évaluation :