Par un arrêt en date du 1er juin 2023, n° RG 22/18136, la Cour d’appel de Paris rappelle l’importance de la notification du jugement pour établir la date d’exigibilité d’une dette et la date de cessation des paiements (même si le jugement est assorti de l’exécution provisoire !).
I. Faits
En l’occurrence, par un jugement mis à disposition au Greffe le 18 juillet 2022, le Conseil des prud’hommes a condamné une société au paiement d’une somme d’argent au profit de son gérant, reconnu en tant que salarié.
Cette condamnation a conduit la société en question à déclarer son état de cessation des paiements et à solliciter le prononcé de sa liquidation judiciaire. En effet, elle ne disposait pas des actifs nécessaires pour faire face à son passif. Par jugement en date du 5 octobre 2022, le Tribunal de commerce de Paris a prononcé sa liquidation judiciaire simplifiée et a fixé la date de cessation des paiements au 18 juillet 2022.
Le Tribunal a remarqué en effet sur les relevés bancaires du débiteur un virement au bénéfice d’une société tierce effectué trois jours après la date du jugement du Conseil de Prud’hommes.
II. Arguments des parties
La société a interjeté l’appel de cette décision contestant la date de cessation des paiements retenue par le jugement. Elle a fait valoir que la condamnation prononcée par le Conseil des prud’hommes ne lui avait été notifiée que le 29 juillet 2022, et que le délai d’appel n’avait expiré que le 29 août 2022, ce qui a rendu le jugement définitif à cette date, établissant ainsi la créance certaine, liquide et exigible.
Le liquidateur judiciaire réfutait les arguments de la société en soutenant que la dette de la société était exigible et certaine à la date du 18 juillet 2022, même si les délais de recours n’avaient pas expiré et même si le jugement n’était pas connu de la société à cette date.
Le raisonnement du liquidateur judiciaire était bien évidemment erroné au vu notamment du principe de sécurité juridique.
La Cour ne l’a donc pas suivi.
III. Motivation de la Cour
Elle a rappelé que l’article L. 640-1 du Code de commerce établissait une procédure de liquidation judiciaire pour les débiteurs en état de cessation des paiements lorsque le redressement est manifestement impossible. L’état de cessation des paiements se caractérise quant à lui par l’incapacité de faire face à ses dettes exigibles avec les actifs disponibles, selon l’article L. 631-1 du même code. Conformément à l’article 501 du Code de procédure civile, un jugement est exécutoire dès lors qu’il devient définitif à moins que le débiteur ne bénéficie d’un délai de grâce ou que le créancier bénéficie de l’exécution provisoire.
Au vu de ces articles, la Cour a souligné que bien que le jugement ait été mis à disposition des parties par le Conseil des prud’hommes le 18 juillet 2022, il n’a été notifié à la société que le 28 juillet 2022 (à notre sens il s’agit d’une erreur dans la mesure où datée du 28 juillet, la notification du Greffe par LRAR a été réceptionnée le 29 juillet).
Toujours est-il que la Cour a retenu que la dette de la société appelante n’a pris effet qu’à partir de la date de notification du jugement, date à laquelle il est devenu exécutoire de plein droit. La Cour, exerçant son pouvoir d’appréciation souverain, a ainsi retenu le 28 juillet 2022 comme date de cessation des paiements de la société appelante.
IV. Portée de la décision
Il s’agit d’un arrêt important qui condamne la pratique des tribunaux de commerce de fixer la date de cessation des paiements à une date ne répondant pas aux exigences légales, pour permettre au liquidateur judiciaire de contester plus aisément les actes conclus par le débiteur pendant la période suspecte.
Dans cette affaire, COPERNIC AVOCATS représentait les intérêts de la société appelante.