Intervention de Maître Lucien Peczynski, Conférence du 28 juin 2007 (compte-rendu sténographique)
Ainsi que nous le précisions récemment, si la Pologne compte environ 20 % « d’entrepreneurs individuels » parmi la population active, il n’en demeure pas moins que la relation de travail est la règle et qu’en son sein, le contrat de travail à durée indéterminée souhaiterait conserver son leadership.
Nous verrons néanmoins que l’application de concepts, qui peuvent nous sembler familiers, s’avère en réalité « déroutante » spécialement sous l’angle protecteur du droit social français.
Ainsi on s’aperçoit, à l’aube de bouleversantes mutations du droit du travail prévues en France, que la flexibilité à la polonaise en cette matière est particulièrement intéressante à analyser.
I. Des concepts qui nous sont familiers
1. La forme du contrat
Bien que le législateur prévoie seulement un contrat de travail écrit, la relation de travail existe dès lors que ses éléments essentiels (un travail, une rémunération et un lien de subordination) sont réunis.
S’agissant d’employeurs ou de salariés étrangers, la question de la langue du contrat a pu se poser. La Cour Suprême a statué clairement sur cette question : les contrats de travail conclus en Pologne doivent être exclusivement rédigés en polonais. Il convient toutefois de relever que cette jurisprudence a été nuancée par la réforme de la loi sur la langue polonaise intervenue en 2009. Ainsi, le contrat de travail peut être établi en langue étrangère à la demande du salarié de nationalité étrangère.
2. Les éléments du contrat de travail
Sans vouloir présenter un catalogue exhaustif de ces éléments, qui pour la plupart ressemblent à ceux que nous connaissons en France, certains points méritent cependant l’attention.
Ainsi, une rémunération supplémentaire doit-elle être versée au titre des heures supplémentaires, du travail de nuit ou lors des jours fériés, etc.
L’employeur doit pareillement mentionner dans le contrat de travail la convention collective applicable.
Un mot sur la durée du travail que le Code du travail fixe par principe à 40 heures / semaine pour une période de référence de 4 mois. Avec les heures supplémentaires, la durée hebdomadaire ne peut excéder 48 heures. Néanmoins, avec l’accord du salarié, il est possible pour un salarié de travailler jusqu’à 13 heures par jour.
En fait, en raison de la faiblesse des salaires, les salariés sont souvent demandeurs d’heures supplémentaires et se rendent par là-même « complices » des infractions de leurs employeurs : c’est en effet le plus souvent grâce aux heures supplémentaires que les salariés polonais peuvent vivre décemment.
3. La rupture du contrat de travail
Une première différence notable avec la situation en France résulte de la possibilité pour le salarié de proposer une modification de son contrat de travail et de le rompre si celle-ci est refusée.
Ainsi, le salarié qui demande une augmentation de salaire, arguant de ses bons résultats, a la possibilité de mettre son employeur « au pied du mur » et résilier son contrat de travail en cas de refus par celui-ci d’accéder à sa requête ! Les conséquences de cette situation peuvent en outre être plus subtiles, selon que le salarié aura précisé dans sa demande qu’en cas de refus d’augmentation de salaire :
- il envisagerait son départ de l’entreprise
- ou qu’il partirait de l’entreprise
en fonction de la formulation utilisée, et notamment dans la seconde hypothèse, le refus par l’employeur d’accorder l’augmentation de salaire demandée constituera une démission sans préavis du salarié (il s’agit d’une sorte de démission sous condition suspensive).
Cette possibilité n’est pas qu’une hypothèse d’école en Pologne, où la mobilité des salariés, notamment des jeunes diplômés, est très forte et où l’offre de travail est souvent plus importante que la demande.
Cette situation se rencontre plus particulièrement dans certains secteurs « en tension », tel celui du bâtiment, spécialement à l’approche des grands travaux prévus pour l’EURO 2012 de football co-organisé par la Pologne, tant en ce qui concerne les stades à construire que les infrastructures (hôtels, routes, etc.).
Est-il nécessaire de souligner que certains salariés sont protégés contre les licenciements ou que les modalités de ceux-ci sont spécifiques ? Il en va principalement des salariés en préretraite, des femmes enceintes et de certains représentants du personnel.
En toute hypothèse, comme en France, le motif du licenciement (ou de la démission comme on l’a vu plus haut) doit être communiqué et il est, bien évidemment soumis au contrôle du Juge.
Un sort particulier doit être réservé à la période d’essai, qui n’existe pas en tant que tel : il n’est dès lors pas possible de prévoir une période d’essai « à l’intérieur » d’un autre contrat. Elle doit en effet faire l’objet d’un « contrat d’essai » distinct, qui n’est jamais obligatoire et dont la durée maximale est de 3 mois, non renouvelable. Chaque partie peut y mettre fin, sans justification, moyennent des délais de préavis très brefs.
II – Une réalité souvent différente
1. Le contrat à durée déterminée (CDD)
Ce type de contrat est actuellement le plus en vogue (spécialement aux yeux des employeurs, cela va sans dire) et il est statistiquement en passe de détrôner le contrat à durée indéterminée (CDI).
Deux possibilités existent, le CDD « classique » et le CDD en vue de remplacer temporairement un salarié.
Le CDD polonais « classique » présente des spécificités notables :
- sa durée n’est pas encadrée par le Code du travail : il peut donc durer de quelques jours à … plusieurs années. Cette règle a été toutefois temporairement abrogée jusqu’à la fin de 2011 par la loi « anti-crise ». Conformément à cette loi, le nombre de CDD conclus avec un même salarié n’est pas limité dans une période maximale de 24 mois. Des négociations entre les partenaires sociaux se poursuivent néanmoins afin de limiter la durée maximale des CDD (qui pourrait s’étendre de 18 à 36 mois ;
- bien qu’il s’agisse d’un contrat à durée déterminée, par principe donc d’une durée intangible, l’employeur a la possibilité d’y mettre fin assez aisément, par exemple (il s’agit là bien évidemment de dispositions légales prévues par le Code du travail) :
- si le contrat d’une durée (supérieure à 6 mois) l’a prévu (!) auquel cas le préavis est uniformément de 2 semaines. Ainsi, un contrat 6 mois et 1 jour (ce qui n’est pas une hypothèse d’école) permet d’insérer une telle clause et,à l’extrême, un CDD de plusieurs années peut être donc résilié, moyennant un préavis de 15 jours, sans indemnité, puisque cette résiliation était « prévue » au contrat …
- lorsque l’entreprise est en redressement ou en liquidation judiciaire, ou lorsqu’elle procède à des licenciements collectifs (d’ordre économique)
A côté de cela, le CDD de remplacement ne présente finalement que peu de spécificité, tout au plus permet-il de ne pas fixer de terme précis au contrat, autre que le retour du salarié remplacé.
Enfin, pour être complet, il convient de signaler l’existence d’un CDD pour l’exécution d’une tâche déterminée, prenant fin avec l’accomplissement de ladite tâche.
Cette situation, qu’on pourrait en France assimiler à de la précarité, n’est cependant pas uniquement considérée comme tel en Pologne. Certes le taux de chômage demeure encore élevé (le plus élevé dans l’UE), de 11,4 % de la population active selon les derniers chiffres publiés par (EUROSTAT), contre 7,3 % en moyenne dans l’Union Européenne et pour effectuer la comparaison, de 8,7 % en France.
Cela étant elle traduit surtout à notre sens une très grande flexibilité et une adaptabilité très forte de la main d’œuvre polonaise. Ainsi, ces situations de contrat à durée déterminée ne sont pas un obstacle, au quotidien, pour obtenir un crédit et on ne peut pas penser que les banquiers polonais soient plus « téméraires » que leurs homologues polonais. En effet, à tout prendre, un banquier polonais s’engagera plus aisément et accordera un prêt à un salarié en CDD de 5 ans, qu’à un autre en CDI dont le contrat, mais ce pourrait être l’objet d’une autre intervention, est lui soumis à un régime de licenciement des plus libéraux et où l’indemnisation des demandeurs est bien moins importante qu’en France.
2. Le contrat à durée indéterminée (CDI)
Le contrat à durée indéterminée qui demeure pourtant le contrat de travail de « droit commun » fait alors figure de contrat d’exception.
Quelques caractéristiques remarquables le concernant peuvent être citées :
- si l’employeur est tenu de notifier le motif du licenciement, il a été admis par la Cour Suprême que constituait un motif valable pour l’employeur de procéder à des licenciements en vue de remplacer des salariés par d’autres dans la mesure où les performances de l’entreprise seront améliorées !
- le licenciement doit être précédé d’une consultation du syndicat qui représente le salarié, c’est-à-dire que si le salarié n’est pas adhérent du syndicat ou si le syndicat refuse de le « représenter », la consultation n’est plus obligataire.
En toute hypothèse, et comme son nom l’indique, cette consultation n’a pas d’effet autre, la décision de licencier revenant à l’employeur …
3. Les entrepreneurs individuels
Ainsi que nous le rappelions en introduction, la Pologne compte 3.000.000 « d’entrepreneurs individuels » soit 1 / 5ème de la population active.
En raison des abus constatés au cours des dernières années ayant entraîné la requalification en relation de travail de nombreux contrats de pseudo « travailleurs indépendants », seules pourront être retenues désormais comme telles les personnes remplissant cumulativement les conditions suivantes :
- être responsable vis-à-vis des tiers de l’exécution et du résultat de leurs prestations
- diriger seules leur activité, aux lieu et horaire qu’elles déterminent
- supporter le risque économique lié à l’activité
L’administration polonaise pourra requalifier l’opération, entraînant pour le bénéficiaire de la prestation l’obligation de verser une retenue à la source de 19 % au titre de l’impôt sur le revenu (comme tout employeur en Pologne), ainsi que les cotisations sociales salariales afférentes.
Conclusion
Malgré une situation parfois déroutante du point de vue français, il convient néanmoins de retenir de nombreux aspects positifs :
- la situation des salariés va globalement en s’améliorant
- les salariés sont dans l’ensemble très bien formés, compétents et travailleurs ; et enfin mobiles
- ainsi, même si un grand nombre de travailleurs, jeunes pour la plupart, ont émigré depuis 2004 à l’étranger certains d’entre-eux commencent à envisager un retour en Pologne
Les relations individuelles du travail
1. La durée du travail
La durée hebdomadaire maximale de travail est fixée à 40 heures, 48 heures en prenant en compte les heures supplémentaires.
Le travail le dimanche et les jours fériés est possible dans certains cas. Les heures supplémentaires sont payées au taux majoré de 50 ou 100 %, selon le cas.
Le tableau ci-dessous présente quelques exemples de durée du travail dans l’Union Européenne :
2. Les congés payés
Les modalités de calcul des congés payés sont particulières : pour un salarié ayant moins de 10 ans d’ancienneté, ils sont de 20 jours ouvrés et passent à 26 jours au-delà.
3. Les rémunérations
Elles sont déterminées, comme en France, conformément aux conventions collectives ou aux accords d’entreprises.
La Pologne et la France font partie de la majorité des états membres de l’Union Européenne où le salaire minimum est fixé par le législateur. Toutefois il existe de grandes disparités : ainsi le salaire minimum s’élève actuellement à environ 1.130 zlotys par mois en Pologne (350 euros), et à environ 1.320 euros par mois en France (juillet 2008).
Comme en France, les salaires sont plus élevés dans la capitale qu’en province.
4. L’âge de départ à la retraite
Il est de 60 ans pour les femmes et de 65 ans pour les hommes.
5. La rupture du contrat de travail – Le licenciement
La cause du licenciement doit être réelle, objective et sérieuse. L’employeur doit informer le salarié par écrit de son licenciement et en justifier le motif. Pour les CDI la durée du préavis varie entre deux semaines et trois mois, en fonction de l’ancienneté du salarié.
Les relations collectives en Pologne
1. Les conventions collectives
Il existe deux types de conventions collectives : la convention d’entreprise et la convention étendue. Elles sont signées par les organisations syndicales nationales et par les employeurs ou les organisations d’employeurs.
En principe les conventions collectives ne s’appliquent qu’aux seuls salariés. Néanmoins, l’utilisation fréquente de contrats de « prestations » en lieu et place de contrats de travail, permet d’étendre leur application à ces « prestataires ».
Chaque convention collective doit être enregistrée en fonction de son caractère, étendu ou d’entreprise, auprès du Ministère du travail ou de l’Inspection du travail territorialement compétente.
Il est par ailleurs possible de suspendre l’application d’une convention collective en cas de mauvaise situation économique de l’employeur. Cette suspension intervient par voie d’accord entre les signataires et ne peut pas excéder 3 ans.
2. La représentation des salariés
Elle s’exerce soit par la participation des salariés à la gestion de l’entreprise (cette dernière ne s’appliquant qu’aux entreprises d’État) ou par la représentation syndicale.
Pour créer un syndicat, il faut au moins 10 personnes. L’enregistrement au Registre Judiciaire National (KRS) est obligatoire dans le délai de 30 jours à partir de sa création. Le syndicat acquiert la personnalité morale lors de son enregistrement.
Chaque licenciement de salarié embauché en CDI doit être précédé par une consultation avec les syndicats. Néanmoins, dans la plupart de cas, l’avis exprimé par les syndicats ne lie pas l’employeur qui reste libre de sa décision.
Exceptionnellement, cet avis devient contraignant pour l’employeur lorsqu’il concerne le licenciement des représentants syndicaux.
Les charges sociales en Pologne
1. Les salariés
Le taux global des cotisations sociales s’élève approximativement à 34 % du salaire brut. Le salarié en supporte 16 % et l’employeur 18 %.
2. Les travailleurs indépendants
Les tableaux ci-dessous présentent un intérêt particulier car plus de 20 % des polonais exerçant une activité professionnelle (soit près de 3.000.000 de personnes) sont considérés comme des « entrepreneurs » et immatriculés comme tels. Très souvent, le « choix » d’exercer sa profession sous forme d’entreprise individuelle trouve ses origines exclusivement dans des considérations de nature financière.
Ainsi, en s’installant à leur propre compte, ces entrepreneurs économisent principalement en dépenses de cotisation sociale (1 – 2). Cette différence s’accroît encore lors des deux premières années de fonctionnement de l’entreprise où il est possible d’opter pour un système de cotisations minorées (3).
Bien évidemment, les travailleurs indépendants sont libres de cotiser au-delà de la base forfaitaire, ce qui leur assure des prestations supérieures.
CONTRAT DE TRAVAIL (1)
(17 % et 32 %)
TRAVAILLEUR INDEPENDANT – ENTREPRISE AU DELA DE 30 MOIS (2)
[cotisations aux taux minimums]
TRAVAILLEUR INDEPENDANT – ENTREPRISE ENTRE 7 ET 30 MOIS (3)
[cotisations aux taux minimums]
TRAVAILLEUR INDEPENDANT – ENTREPRISE NOUVELLE DE MOINS DE 6 MOIS (4)
[cotisations aux taux minimums]